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L’amour est-il totalement libre aujourd’hui ?

L’amour a atteint un degré supérieur de liberté. Nos choix de partenaires sont largement plus indépendants qu’autrefois. C’est ce que chacun(une) s’attache à croire. Mais le sociologue Jean-Claude Kaufmann fait tomber les certitudes et lève les masques. Quel est donc le vrai visage du couple d’aujourd’hui ?

L’amour, une attirance extraordinaire, en dehors de toute raison ? Le mariage, une décision spontanée, loin de tout calcul ? En apparence peut-être… La vérité est tout autre. Un grand nombre de facteurs orchestre, en réalité, les raisons de notre choix. À commencer par l’homogamie.

Dans son livre “Sociologie du couple”, Jean-Claude Kaufmann rapporte une célèbre étude publiée en 1964, réalisée par Alain Girard pour l’INED (Institut national d’études démographiques). Les résultats mettaient déjà en évidence la volonté des partenaires de se rapprocher en fonction de certaines ressemblances. 25 ans plus tard, une nouvelle enquête confirme la première. On se choisit majoritairement en fonction des professions de nos parents. C’est ainsi qu’à niveau socio-professionnel égal, un fils d’artisan aura tendance à épouser une fille du même milieu, ou qu’une fille d’ingénieur épousera un fils d’ingénieur ou de niveau voisin.

Les partenaires recherchent donc, d’eux-mêmes, la proximité sociale. Mais pas seulement, ils cherchent des similitudes également dans le langage, les points de vue, les goûts, etc.

Rien d’étonnant me direz-vous. Car c’est ce qui permet de construire un couple équilibré. C’est vrai, partager une base de valeurs communes, est essentielle pour la cohérence du couple. Je le répète souvent dans mes articles. Mais on aurait pu penser que l’indépendance financière des femmes, désormais massivement présentes dans la vie active, contribuerait à certains changements.

Des clichés toujours d’actualité

Ce n’est pas le cas. Cela, malgré l’existence d’une “mobilité sociale ascendante” décrite par le sociologue. Une fille d’ouvrier pourra, par exemple, épouser un cadre supérieur si elle a fait de bonnes études. Ajoutons, au passage, que les comportements machistes ont encore la vie dure. Un homme riche pourra épouser une femme peu cultivée et de condition modeste mais, en échange, elle devra avoir un physique parfait ! Nous avons tous en tête cette image de couple disparate, formé d’un vieil homme déambulant au bras d’une jeune-femme resplendissante.

Est-ce dans un esprit revanchard que certaines femmes acceptent une relation, certes passagère, avec des hommes parfois beaucoup plus jeunes qu’elles ? Peut-être ont-elles besoin d’en passer par là pour inverser la vapeur ? Cette rébellion contre le pouvoir abusif des hommes ne doit toutefois pas se transformer en luttes stériles. Le but étant de trouver, un jour, un bel équilibre entre l’homme et la femme.

Le poids de l’éducation

Selon Jean-Claude Kaufmann, l’homogamie confronte l’individu à l’imaginaire collectif, et illusoire, de l’idéal amoureux. Celui du prince qui peut épouser une bergère. Les contes entretiennent d’ailleurs cet imaginaire. Ils résonnent encore dans les comportements de certaines jeunes-filles, mais aussi de femmes. C’est le fameux complexe de Cendrillon, décrit par Colette Dowling*. En effet, l’éducation donnée aux filles, produirait chez elles une peur de l’indépendance. Elles attendraient d’être prise en charge par un homme qui les protègerait, et subviendrait à leurs besoins.

Sans doute est-ce pour cela que l’homme incarne encore, au sein du couple, l’image du pourvoyeur principal des ressources du foyer. Le sociologue évoque à ce sujet l’étude réalisée par François de Singly (sociologue). En étudiant les annonces matrimoniales, il soulève des différences notables entre hommes et femmes. Quand les femmes mettent en avant leurs qualités physiques et relationnelles, les hommes avancent en priorité leur profession et leur situation économique. Troublant non ?

L’homogamie aujourd’hui

De nos jours, même si les jeunes sont davantage ouverts à l’hétérogamie, la tendance à l’homogamie reste stable.

Pourquoi ?

Se référant aux études de Michel Bozon et François Héran ( anthropologues et sociologues), Jean-Claude Kaufmann rapporte que les lieux de rencontre, sont construits de telle sorte, qu’ils ne laissent pas franchement une vraie place au hasard.

Dans les milieux populaires, on se rencontre principalement à l’occasion de fêtes, de foires, de bals, dans la rue, au café ou encore dans un centre commercial.

Pour les classes supérieures, on se rencontre davantage dans une association, un lieu d’études, un club privé, une animation culturelle ou un sport.

Enfin, les cadres du privé, patrons ou professions libérales se rencontrent à leur domicile, pour des fêtes de famille ou entre amis.

De plus, en analysant les critères formulés par les personnes interrogées, Michel Bozon montre qu’ils expriment inconsciemment des intentions homogamiques. Ainsi, malgré un marché matrimonial apparemment plus ouvert, l’homogamie persiste.

L’amour désintéressé, l’illusion qui sauve les apparences

Face à cette évidence, les candidats au mariage sont en proie à un conflit intérieur : ils ne peuvent admettre ce choix calculé, qui reste donc dissimulé sous le masque d’une représentation idéalisée de l’amour.

Par ce biais, les conjoints surévaluent le rôle du hasard dans leur rencontre. C’est un moyen pour eux de ne pas s’avouer clairement les choses. Ils gardent en silence cette volonté de choix, donc d’une certaine marchandisation de leur conjoint, qui pourrait, au final, être interchangeable. Beaucoup se réfugient alors dans l’illusion du couple idéal, uni par les forces du destin “Parce ce que c’était lui(elle), parce que c’était moi”. Un concept d’amitié initialement décrit par Montaigne* “Il y a au delà de tout mon discours, et de ce que j’en puis dire particulièrement, ne sais quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union.

Le libre choix du partenaire de vie  serait donc un mythe confortable qui cache l’instrumentalisation du conjoint. Quant à l’amour, il s’agirait d’un concept fabriqué de toutes pièces.

Selon Jean-Claude Kaufmann, “l’amour est une construction sociale”, “résultat d’un long mouvement historique de mise en forme, d’élaboration d’un sens particulier.”

L’amour, un concept fabriqué de toutes pièces

Autrement dit, l’amour découle de l’histoire culturelle de l’humanité, et plus spécifiquement des caractères propres à chaque culture. Durant des siècles, dans notre société, c’est la religion chrétienne qui légifère sur les questions de la relation homme-femme. Elle règle et impose sa vision du couple selon des règles très strictes, toujours en lien avec la pureté divine. Pas question de prendre du plaisir à deux. Il s’agit de s’approcher le plus possible du modèle de la vierge Marie. On ne tolère l’union des corps que si elle est motivée par le souci de la reproduction. Puis, au fil du temps, lentement la conception de la vie en couple évolue.

Au XVIe siècle, dans un contexte de plaisir sexuel représenté comme un péché par l’ordre moral, l’idée de l’amour profane tend à se développer. Il devient envisageable d’accorder un sentiment pudique à son (sa) partenaire. Puis, au XVIIIe siècle on admet qu’il puisse y avoir de la tendresse entre les deux conjoints.

À cette même époque, le mariage prend des tournures de passion tranquille. Logiquement, apparaît la volonté de faire un “mariage d’inclination” qui s’oppose au mariage arrangé. Une nouvelle vision de la mise en couple bien difficile à faire passer ! C’est seulement deux siècles plus tard, aux environs de la Troisième République, que cette idée est réellement acceptée.

Le mariage d’inclination fut-il un tremplin pour le libre choix de son (sa) partenaire ? C’est ce que l’on  s’autorise à penser de nos jours. Mais, Jean-Claude Kaufmann est formel, l’amour et le choix du conjoint ne sont qu’un mythe, façonné au fil du temps, par le mouvement culturel.

La force de l’amour

Inutile alors de se voiler la face. Nous savons que notre culture et notre éducation influencent notre manière d’être et de penser. Oui, nos choix de partenaires répondent à des critères précis, et tout particulièrement lorsqu’ils s’agit de mariage. Oui, l’idéal de l’amour désintéressé n’est qu’un leurre.

Pour autant, ne nous reste-t-il pas quelque chose d’essentiel ? Cette chose au plus profond de nous, qui nous  pousse vers l’autre, qui nous donne envie de construire un chemin de vie à ses côtés, de développer notre écoute, notre attention, notre intérêt, notre tendresse à son égard. Oui, c’est bien de l’amour dont je vous parle. Cette formidable énergie positive qui vibre en nous, rendant tous les changements possible, pour aller vers le plus juste et le meilleur!

*Colette Dowling, auteure, “Le complexe de Cendrillon”, Ed Grasset, 1982.

*Michel de Montaigne, Essais, “De l’Amitié”

2 thoughts on “L’amour est-il totalement libre aujourd’hui ?

  1. C’est marrant de lire cet article aujourd’hui, juste après la discussion que j’ai eu hier!

    Je trouve qu’il est très puissant de se rendre compte, souvent après coup, pourquoi on a été attiré l’un l’autre avec nos partenaires. Le livre “Women who love too much” (pas sûr qu’il ait été traduit) était une révélation pour Madame et moi! Il explique de manière pratique, mais aussi d’un point de vue de la psychologie, pourquoi on choisit les partenaires qu’on choisit et c’est un livre aussi pour les hommes, malgré le titre!

    Pour la discussion, je ne sais plus pourquoi on en est arrivé là, mais ma femme à un ami qui est biologiste et après avoir passé sa vie à observer la nature (il doit être dans les 50-60 ans), dit toujours qu’on est impuissant face à la nature, et que le choix n’est qu’une illusion. Qu’on est contrôlé par des forces plus grandes que nous, et qu’il faut juste les suivre…

    Cette idée est intéressante et similaire à celle de Kaufmann, mais ce qui est encore plus intéressant à mes yeux, est de voir l’impact immense que peut avoir ce qu’il nous reste de décisions ou de capacité à changer nos références, notre entourage, et notre cerveau. C’est comme une fusée qui est sur la mauvaise trajectoire d’un pour cent, après un voyage assez long, la destination n’a rien à avoir avec la destination prévue… L’être humain est fascinant!

    1. Élise Simplon says:

      Bonjour Nicolas,

      Je suppose que tu fais référence au livre de Robin Norwood “Ces femmes qui aiment trop”, et dans lequel elle explique les mécanismes inconscients qui poussent les femmes à s’engager dans des relations toxiques et vouées à l’échec.
      Il est certain que nous sommes nombreux(ses) à ne pas être conscients(tes) des vraies raisons qui motivent nos choix de partenaires. Un travail de prise de conscience et de meilleure connaissance de soi est donc bien utile si l’on veut gagner en indépendance et en liberté (certes toute relative) dans nos histoires d’amour.

      Entre nos conditionnements culturels et psychologiques, il y a fort à faire ! Mais, comme tu le dis très justement, c’est cette même complexité qui fait de l’humain un être fascinant !

      Merci pour ce partage intéressant.
      A bientôt

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