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Pourquoi les femmes divorcent ?

Pourquoi les femmes veulent-elles divorcer ou se séparer ? Souvent plusieurs raisons s’affichent au tableau des mécontentements, mais il semblerait qu’une raison majeure sépare les femmes des hommes.

Pourquoi les femmes ne veulent plus vivre avec l’homme qu’elles ont aimé ? Très souvent, parce que la femme donne trop, et l’homme pas assez. Dans la vie conjugale, les femmes ont souvent la sensation de ramer toute seule. Au fil du temps, lorsque la femme se consacre corps et âme à son couple et à sa vie familiale, elle sent comme un épuisement la gagner. D’autant plus si le conjoint continue sa petite vie tranquille à côté d’elle – dans la plus parfaite indifférence.

Rêve ou réalité ?

Pourtant, beaucoup d’hommes se défendent sur ce chapitre. Ils ont tout de même consenti quelques efforts depuis les revendications féministes des années 1970 ! Ils partagent les tâches ménagères, s’occupent des enfants, s’investissent davantage dans la gestion du foyer… Rêve ou réalité ?

Des efforts qui sembleraient bien plus inscrits au registre des bonnes intentions, plutôt qu’au service d’une réalité effective.

En 2004, une enquête Ipsos révèle en effet un hiatus entre les réponses homme-femme sur la question du partage mutuel concernant leur investissement personnel auprès de leurs enfants : Quand 65% des pères interrogés déclarent s’occuper de leurs enfants, se lever la nuit, quitter leur travail en cas d’imprévu pour leur progéniture, seulement 37% des mères le confirment.

On ne peut pas vraiment parler de partage des tâches dans la vie à deux.

En 2018, une autre enquête Ipsos révèle à nouveau ce même écart de perception homme-femme, sur le partage des tâches ménagères :

Quand 32% des hommes déclarent faire les courses, seulement 14% des femmes le confirment.

Quand 29% des hommes déclarent préparer les repas, seulement 18% des femmes le confirment.

Quand 13% des hommes déclarent s’occuper des enfants, seulement 4% des femmes le confirment.

Ces femmes, plus investies que les hommes dans la vie conjugale, sont décrites par le sociologue François de Singly* comme des femmes qui ont tout miser sur leur vie de couple. Elles privilégient le « nous » au détriment de leur propre « je ». Elles s’y consacrent entièrement et agissent le plus souvent seule au nom d’un collectif (couple). Dans ce contexte, la notion de couple prend des allures trompeuses, car lorsque c’est la femme, seule, qui installe les habitudes conjugales, qui organise le ménage, les courses, la cuisine etc, tandis que le mari se consacre essentiellement aux tâches qui ne le dérangent pas, laissant à son épouse toutes les autres, y compris celles qu’elle n’affectionne pas particulièrement, on ne peut pas vraiment parler de partage des tâches dans la vie à deux.

Quand la goutte d’eau fait déborder le vase

Or, “La femme accepte cette charge au nom d’une équipe à laquelle elle croit.” explique le sociologue.

Pour ces femmes, 100% investies dans leur vie conjugale, la déconvenue est d’autant plus forte si elle découvre l’infidélité de leur conjoint. C’est majoritairement la découverte de l’infidélité qui déclenche alors la décision de la rupture.

A partir du moment où elles se sentent profondément trahies, la charge, le travail et la responsabilité deviennent insupportables. Elles se sentent doublement niées : d’une part dans leur reconnaissance d’elles-mêmes, en tant que femme unique et exclusive, mais également dans l’investissement et la confiance qu’elles avaient engagés dans leur vie conjugale, qui ne sont ni reconnus ni partagés. Pour elles, la séparation sera d’autant plus difficile, car c’est tout un système qui s’écroule.

Deux autres raisons de divorce

Nous l’avons compris, l’un des principaux rêves de la femme est que son mari s’investisse tout autant qu’elle dans la communauté familiale. Chaque partenaire doit faire des efforts de même intensité pour le collectif conjugal. Or, les femmes “se plaignent beaucoup de la paresse des hommes à faire ce travail. Pour cette raison, ils sont fréquemment jugés “égoïstes”. Le couple n’existe que s’il est assumé par les deux.” rapporte le sociologue.

Dans de nombreuses demandes de divorce, les femmes reprochent à leur mari de ne pas être assez attentif, et trop investi dans leur vie professionnelle. La plupart des femmes ont besoin d’une écoute attentive, et souhaitent développer cette attitude à l’égard de leur partenaire. Elles demandent une reconnaissance personnelle et mutuelle au sein du couple. Ce sont des femmes qui privilégient à la fois le “nous” et leur réalisation personnelle “je” qu’elles considèrent avoir le droit de développer tout autant que l’homme.

“Si la femme pense être négligée, elle estime avoir le droit, après avoir lancé des signaux d’alarme, de quitter son partenaire.” souligne François de Singly.

Par ailleurs, les femmes qui privilégient le “je”, davantage centrées sur leur développement personnel, peuvent être amenées à demander le divorce si leur conjoint ne souhaite pas, ou ne peut pas, les accompagner dans leur évolution personnelle. Elles demandent la séparation pour passer à autre chose, afin de pouvoir se réaliser pleinement.

Elles n’ont pas beaucoup de reproches à faire à leur partenaire. Dans ce cas, la séparation est plus facile.

Comment expliquer la dissonance au sein de nombreux couples ?

De nos jours en France, près de la moitié des mariages se solde par un divorce. En 2016, l’INSEE** enregistre 225 612 mariages contre 128 000 divorces la même année. Chaque année, on dénombre en moyenne 130 000 divorces, le plus souvent demandés par des femmes. “Elles sont à l’origine de près de trois quarts des divorces contentieux” et 70% d’entre elles exercent une activité professionnelle.***

Si le rétablissement du divorce par consentement mutuel promulgué par la loi n°75-617 du 11 juillet 1975 a ouvert la porte sur une plus grande liberté du divorce, pour autant, cela ne suffit pas à expliquer l’augmentation des divorces depuis les années 1970. Ce n’est pas non plus la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, qui simplifie les procédures de divorce réduisant à une seule le nombre des conciliations des époux devant le juge.

Les lois sur le divorce sont des symptômes qui reflètent le malaise profond du couple.

Une difficulté de vivre à deux, bien réelle

Pourquoi ?

D’après l’INSEE, “Entre 1950 et 1970, le nombre de divorces était relativement stable et s’établissait à 33 000 par an, en moyenne. Durant les quinze ans qui ont suivi, en revanche, de plus en plus de couples mariés ont divorcé.”

Dans son livre “Séparée : Vivre l’expérience de la rupture”, François de Singly étudie les récits d’une centaine de femmes qui ont vécu une séparation conjugale. Il montre notamment que de 1978 à 2008, le nombre de divorces a doublé. Durant cette période, la société de consommation et l’individualisme se sont très largement développés.

Peu avant, la révolution culturelle de 1968 et l’essor du féminisme étaient aussi passés par là. Ces deux changements sociaux ont évidemment joué un rôle important dans la croissance des divorces en France.  

Les femmes, depuis les années 1970-1980, mettent l’accent sur la reconnaissance de soi

Le changement de vie des femmes, implique une nouvelle donne. Leur émancipation financière, professionnelle, sexuelle et personnelle ne peut plus se satisfaire du destin servile et étriqué que l’homme lui imposait jusque-là.

Depuis le 13 juillet 1965, les femmes ont le droit d’ouvrir un compte en banque personnel, et d’exercer une activité professionnelle, sans avoir besoin du consentement de leur mari.

La loi Veil du 17 janvier 1975 qui dépénalise l’IVG (interruption volontaire de grossesse) libère les femmes de la pression et de l’obligation de grossesses indésirées.

La contraception, bien qu’encore beaucoup trop proposée exclusivement à la femme (l’amour se fait à 2), la rend plus autonome et actrice dans sa sexualité.

Autant d’ouvertures qui leur permettent de découvrir enfin la liberté, et de s’apercevoir aussi de la part inacceptable de leur vie d’avant, qu’elles ont pourtant acceptée. (C’est souvent en sortant de l’emprisonnement que l’on s’aperçoit du carcan, et des abus de nos conditionnements.)

Les femmes peuvent enfin s’élever à la hauteur des hommes. Elles en ont le droit.

Comme un oiseau sortant de sa cage, découvrant subitement son pouvoir de voler, elles ont le pouvoir d’exister, à part entière…

 Elles peuvent enfin l’affirmer, voire le revendiquer. Elles ont le droit d’être reconnues dans leur globalité… Une nouvelle quête identitaire commence à voir le jour. La femme doit alors veiller à ne pas se laisser réduire dans un rôle de mère et d’épouse, afin de libérer en elle le Soi, si longtemps réprimé.

Quand les réponses ne sont pas en accord avec les attentes

Conscientes notamment des deux principales fonctions du couple et de la famille : garantir la sécurité et offrir une reconnaissance personnelle ; les femmes, depuis les années 1970-1980, mettent l’accent sur la reconnaissance de soi, explique François de Singly “Elles veulent un compagnon qui continue à se soucier d’elle.”

Pour la femme, qui s’intéresse plus que l’homme au développement personnel, il importe en effet de donner et de recevoir des soins et, idéalement, l’homme doit lui aussi être capable de prodiguer des soins à sa compagne : écoute, soutien, empathie, solidarité, confiance, sécurité, complicité, chaleur, tendresse, authenticité…

Or, beaucoup de femmes déchantent. Elles constatent que leur mari privilégie davantage la sécurité, concevant leur épouse comme un objet faisant partie du décor, heureux de pouvoir profiter d’une vie tranquille et sécurisante, et pour certains, s’autorisant même à l’occasion, quelques plaisirs extra-conjugaux. Sidérées, les femmes découvrent l’égoïsme froid et indifférent de leur partenaire.

Féminin-Masculin, le choc de deux histoires

En fait, deux conceptions du couple s’opposent et cohabitent ensemble. Elles sont liées aux deux histoires bien différentes de la femme et de l’homme.

Sans se l’avouer forcément, un certain nombre d’hommes, selon leur culture et leur éducation, seraient restés dans l’imaginaire bourgeois du couple du XIXème siècle.

François de Singly explique que, tandis que la femme est davantage à la recherche d’une « identité unifiée », l’homme se satisfait davantage d’une identité cloisonnée.

Avec le mariage bourgeois : Il y a du côté masculin la division des espaces : travail, vie familiale, vie privée à la maison et vie sexuelle avec une maîtresse.

Du côté féminin, il y a au contraire unité d’espace : “intérieur domestique dont elles avaient la responsabilité”.

Or, de nos jours, les femmes refusent les cloisons ! Ainsi, le sociologue explique que “Contrairement à bien des hommes qui ne seraient pas si malheureux d’en revenir au mariage de raison – qui prône implicitement les cloisons – la grande majorité des femmes d’aujourd’hui souhaite que leur partenaire les reconnaisse en quasi-totalité.” Il ajoute “Pour les hommes, l’autonomie se traduit par une séparation des mondes ; pour les femmes, elle repose sur la confiance.”

La femme serait à l’œuvre dans la révolution du nouveau couple.

Nous le savons, la femme quitte une longue histoire de dépendance et de soumission à la domination patriarcale et illégitime de l’homme.

Elle a conservé sa générosité, son attention bienveillante, son envie de construire harmonieusement sa vie conjugale, mais elle affirme désormais son identité globale et sa volonté de s’épanouir totalement. Elle ne transige plus avec l’inacceptable : le mépris, l’indifférence, les inégalités, l’infidélité, la négation, le mensonge, l’hypocrisie…

Elle revendique avant tout la reconnaissance – ce qu’elle est dans son intégralité – une femme dans son entièreté : désirante, pensante, compétente, puissante, au même titre que l’homme.

La femme est à présent l’artisane de son destin, la créatrice de son pouvoir de vivre.

L’homme sort aussi d’une longue histoire – celle de la domination. Ce n’est pas glorieux, et c’est en grande partie pourquoi les femmes divorcent.

Car il y a encore cet écart, cette incompréhension, ces malentendus… Une déchirure qui crée la déchirure. Comment s’aimer dans une relation déchirante ?

Se défaire d’un ancien monde

Avancer l’un vers l’autre. Accepter la nouveauté, l’évolution de l’autre. Réparer.

Extraire et évacuer l’image servile, soumise et inférieure que certains hommes ont encore, consciemment ou inconsciemment, de la femme.

Une ancienne vision, esclavagiste et restreinte de la femme, dont flottent encore quelques vestiges à la surface de nos sociétés. Des privilèges que certains hommes voudraient pouvoir garder, égoïstement, au détriment des femmes.

De puissants indicateurs nous le montrent chaque jour : harcèlements sexuels, viols, violences conjugales, propos dégradants dans les rues, instrumentalisation du corps de la femme dans de nombreux médias et supports publicitaires, inégalités des salaires homme-femme, inégalités dans le couple !

La femme avance, certains hommes freinent… C’est pourquoi les femmes divorcent.

La femme, plus visionnaire que l’homme ?

La femme revendiquerait un nouveau couple tandis que l’homme resterait ancré dans l’esprit d’un ancien couple ? L’homme serait encore dans l’imaginaire du couple bourgeois des années cinquante, tandis que la femme serait à l’œuvre dans la révolution du nouveau couple ?

Entre les restes d’un mariage bourgeois au profit d’un masculin trop gâté, et des dons démesurés au détriment d’un féminin désenchanté, un gros ménage reste donc encore à faire. Un ménage à réaliser à deux, si tant est que le couple se donne un jour le pouvoir de se réinventer, en se libérant, ensemble, des tyrannies de l’ancien monde.

 

*François de Singly : Sociologue, professeur à l’université Paris Descartes et directeur du CERLIS (CNRS). Auteur du livre “Séparée : Vivre l’expérience de la rupture” Ed Armand Colin 2011

**INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques

***www.jurifiable.com : Combien de couples divorcent en France et pourquoi ?

Avancer l’un vers l’autre, lâcher l’ancien monde

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