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L’addiction amoureuse est-elle une maladie ?

L’addiction amoureuse, c’est quoi exactement ? L’amour passionnel cache t-il une addiction ? Quels sont les critères d’un comportement addictif ? Doit-on médicaliser les manifestations extrêmes de l’amour ? Deux psychiatres, le Pr Vineeth P. John et le Pr Michel Reynaud nous apportent quelques réponses dans un article du Medscape*.

L’addiction amoureuse et l’amour passionnel sont-ils deux expressions différentes pour désigner un même état ? Autrement dit les différents états de la passion amoureuse correspondent-ils aux critères permettant de diagnostiquer un état d’addiction ? Et à quel moment peut-on l’identifier ? L’amour trop fort, le désir intense, le manque, les pensées obsessionnelles, la peur de la séparation, la jalousie sont-ils des indicateurs d’un état hors norme ?

Quand on y réfléchit, on utilise souvent un vocabulaire exagérément expressif pour exprimer son amour  “Je suis accro à toi”, “Je  t’aime comme un fou”, “Je suis folle de toi”, “Que serais-je sans toi ?” etc. Difficile de savoir s’il s’agit d’un comportement résolument romantique ou d’un comportement addictif. Les artistes et les écrivains, lorsqu’ils parlent d’amour, sont en ce sens très éloquents. Dans leurs productions on trouve une pléiade de métaphores extrêmes pour exprimer un sentiment de dépendance amoureuse. La chanson de Jacques Brel “Ne me quitte pas” en est la parfaite illustration.

En fait, lorsqu’il s’agit de sentiments, Il n’est pas toujours facile d’y voir clair. Ne dit-on pas “L’amour est aveugle” ? Encore une expression qui en dit long sur notre rapport confus avec le sentiment amoureux !

 

Alors, passion et addiction, ça marche ensemble ou pas ?

Une  équipe de chercheurs dont  le Pr Vineeth P. John, dans une étude présentée lors du congrès de l’APA (American Psychiatric Association), montrent qu’il existe une proximité neurobiologique entre ce qui relèverait de l’ “addiction amoureuse” et les troubles liés à l’attachement et les addictions. Ils précisent toutefois qu’une définition précise de la notion “addiction amoureuse” reste  à élaborer en termes de critères de classification et d’observation neurobiologique.

Pas de définition validée scientifiquement d’accord, mais en attendant comment fait-on ? Y a t-il des indices qui peuvent nous éclairer ? Selon le Pr Vineeth P. John , certaines attitudes peuvent interpeller. Une personne qui n’est pas capable de sortir d’une relation qui la met en danger, par exemple, ou une autre qui ne parvient pas à faire le deuil d’une rupture amoureuse, sont des indicateurs qui doivent éveiller l’attention des médecins.

 

Cela ne fait pas l’ombre d’un doute “Il est clair que cliniquement la passion a des points en commun avec l’addiction aux substances…”

 

Une autre attitude, caractéristique d’un état dépendant, serait une personne entièrement focalisée  sur l’être aimé sans autre type d’intérêt à côté. Ils précisent que cette attitude peut être accompagnée d’autres types de dépendance tels que le jeu, le sexe, les substances. Il semblerait que ce type de comportement touche particulièrement certains types de personnes : celles qui ont une conception immature de l’amour, des grands(es) impulsifs (ves), des “séducteurs narcissiques”, ou des personnes présentant un attachement de type anxieux-ambivalent.

Pour  le Pr Michel Reynaud, chef du département de psychiatrie et d’addictolgie à l’hôpital Paul Brousse, cela ne fait pas l’ombre d’un doute “Il est clair que cliniquement la passion a des points en commun avec l’addiction aux substances : euphorie, désir incoercible et hyper créativité en présence et autour de l’objet aimé. Celui-ci devient une préoccupation primordiale, dont on ne peut imaginer se passer, et, à l’inverse, on ressent tristesse, anhédonie (incapacité à ressentir des émotions positives), voire détresse en cas de “manque” de l’être aimé.

 

Sur le plan neurobiologique, ça se passe comment ?

En présentant la photo de l’être “aimé” à son partenaire, les chercheurs ont constaté une activation des aires du cerveau qui sont impliquées dans le système de récompense, la mémoire, les fonctions d’apprentissage et l’abus de substances. Ce constat valide les travaux de L’anthropologue, Helen Fischer qui s’est beaucoup intéressée au sujet. Quatre neuromédiateurs jouent un rôle dans le comportement addictif amoureux. La dopamine, l’ocytocine, l’hormone opioïdes et la vasopressine dites “molécules de l’amour” sont identifiés par les chercheurs de l’étude comme directement impliquées dans l’addiction amoureuse. Ce sont les mêmes qui sont actives dans d’autres types d’addiction et notamment les drogues.

Le Pr Reynaud explique ainsi le processus ” Quand on aime, on produit des substances euphorisantes qui activent le circuit naturel du plaisir et quand on est “accro”, le manque est alors vécu comme insupportable et la passion se transforme en addiction.

 

L’addiction amoureuse ne doit pas être réduite à une simple addiction.

 

Tout cela est bien troublant ! Face à un tel constat, des questions ne tardent pas à nous tarauder l’esprit  “C’est grave docteur ? Faut-il se soigner ?” Le Pr Vineeth P. John se montre rassurant et pondéré “…il ne s’agit pas de médicaliser les sentiments humains mais de prendre en charge les comportements destructeurs et sources d’un stress psychologique intense.” Par ailleurs, des thérapies ou des groupes de paroles peuvent aider les personnes en difficulté.

De son côté, le Pr Reynaud déclare que l’addiction amoureuse ne doit pas être réduite à une simple addiction. Il explique “La passion […]reste un comportement complexe – qui peut être très perturbé – mais qui est, avant tout, très lié à l’histoire de l’individu, au partenaire, au contexte social.” Il conseille notamment des groupes de soutien du type “Dépendants affectifs et sexuels anonymes” qui peuvent être très utiles.

La passion est effectivement très complexe. Même si l’on commence à identifier les mécanismes neurobiologiques impliqués dans l’attachement et l’addiction, la construction du sentiment amoureux , l’intensité de son expression et l’ampleur qu’il prend, reste très variable pour chacun(une) d’entre nous. L’essentiel est sans doute de prendre conscience que l’amour doit rester un subtil dosage entre ce que l’on donne et ce que l’on reçoit. Un exercice, certes, bien difficile.  Un peu comme un équilibriste, debout sur son fil, au-dessus des chutes du Niagara. Mais quel bonheur d’arriver entier et toujours un bon amoureux au bout du chemin !

Beau cheminement les amoureux !

*Site destiné aux professionnels de la médecine

 

 Pr Michel Reynaud avec Catherine Siguret, L’amour est une drogue douce… en général, éditions Robert Lafont.

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