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Une grande histoire d’amour en bande dessinée

Une histoire d’amour, et pas n’importe laquelle ! La princesse de Clèves, en personne, se pare de bulles sous les crayons enchanteurs de Claire Bouilhac et Catel Muller. Que se passe t-il lorsque la passion amoureuse s’empare d’une jeune fille pure et innocente ? Comment vit-on l’amour au XVIIème siècle ? Une histoire d’amour à découvrir, ou à redécouvrir d’une manière originale, dans cet album à quatre mains, publié par les éditions Dargaud.

Cette histoire d’amour, écrite par Madame de La Fayette, a beaucoup fait parler d’elle. Il faut dire que, sous le règne de Louis XIV, au siècle des Précieuses, tant ridiculisées par Molière, l’amour est un des sujets favoris dont on parle avec beaucoup de liesse.

L’époque du baroque resplendissant est un temps d’effervescence, où l’on s’autorise la controverse. Le libertin érudit s’oppose à la rigueur du catholique religieux qui impose ses mœurs et ses dogmes. Le fleuron de la noblesse féminine se réunit dans les salons littéraires.

On s’insurge contre les traitements réservés aux femmes, et notamment leur condition de reproductrice. Madame de Sévigné met en garde sa fille contre les enfantements répétés. Madame de Rambouillet, qui avait eu sept enfants, disait que s’il n’avait tenu qu’à elle, elle ne se serait jamais mariée. Ces femmes, très bien éduquées et très cultivées, revendiquent également le savoir. Elles contribuent très largement à la diffusion des sciences, des arts et tout particulièrement de la littérature.

 

On rêve à de nouvelles relations entre les hommes et les femmes.

 

On se réunit dans la chambre bleue de la marquise de Rambouillet, près du Louvre à Paris. Dans ce prestigieux salon de velours parfumé, on chante, on discute, on s’amuse, on déclame des vers, mais surtout, on rêve à de nouvelles relations entre les hommes et les femmes.

La carte de Tendre, pays imaginaire dans lequel est représenté l’idéal amoureux des Précieuses, trace les étapes incontournables du parcours. Pas d’amour sans inclination, sans estime et sans reconnaissance. Les vers, la galanterie, les billets doux sont de mise, et l’on admet la passion que si elle est animée des nobles sentiments de l’homme. On s’intéresse aussi au risque que représente l’ennui dans la relation amoureuse, déjà épinglé par Blaise Pascal dans son Discours sur les passions de l’amour* : “Les âmes propres à l’amour demandent une vie d’action qui éclate en événements nouveaux. Comme le dedans est mouvement, il faut aussi que le dehors le soit, et cette manière de vivre est un merveilleux acheminement à la passion.”

Parlerait-il des dangers de la routine dans le couple ? Un sujet encore bien brûlant de nos jours !

 

Une histoire d’amour anonyme

C’est dans ce cercle littéraire que des écrivaines comme Madeleine de Scudéry, inspiratrice de la carte de Tendre*, ou Madame de La Fayette, échafaudent les débuts du roman psychologique. Un roman court, mettant en scène des personnages vraisemblables, dont les sentiments et la psychologie sont finement observés.

En mai 1678, paraît le roman anonyme “La princesse de Clèves”, publié par l’éditeur Claude Barbin. C’est seulement en 1780, un siècle plus tard, que l’on peut lire le nom de Madame de La Fayette sur la couverture du livre. Pas facile d’être une femme érudite et créatrice au XVIIème siècle !

 

La princesse de Clèves
Claire Bouilhac et Catel Muller, La Princesse de Clèves, Ed Dargaud, 216p, 24,90€

 

La princesse de Clèves

Quoiqu’il en soit, à sa parution, l’histoire d’amour fait beaucoup parler. On s’interroge sur les réactions et les comportements de la princesse de Clèves. On débat sur ce qu’elle aurait dû faire, ou ne pas faire. Cette jeune beauté de 16 ans, tout fraîchement arrivée à la cour du roi Henri II, en 1558, est un des meilleurs partis de France. Elle est très vite mariée au prince de Clèves, un honnête homme, follement amoureux d’elle, et pour lequel elle n’a aucune inclination. Elle semble même se tenir éloignée des choses de l’amour.

Son éducation rigoureuse et moraliste, donnée par  Madame de Chartres, sa mère qui l’élève seule, après la mort de son père, prône des valeurs proches du jansénisme. Elle lui fait l’éloge de la raison, de la vertu et de la fidélité conjugale, contre les périlleux désordres de la passion et des plaisirs amoureux. Elle lui dépeint souvent la nature décevante des hommes, séducteurs et peu sincères. Une éducation qui conditionne immanquablement sa vision de la gent masculine et de l’amour.

Mais c’est ignorer, comme nous le rappelle Blaise Pascal*, les forces de cette mystérieuse énergie qui brûle dans nos cœurs “Nous naissons avec un caractère d’amour dans nos cœurs qui se développe à mesure que l’esprit se perfectionne, et qui nous porte à aimer ce qui paraît beau sans que l’on ne nous ait jamais dit ce que c’est. Qui doute après cela si nous sommes au monde pour autre chose que pour aimer ? En effet, l’on a beau se cacher, l’on aime toujours. “*

 

Coup de foudre de la Princesse de Clèves avec le duc de Nemours
La rencontre de la Princesse de Clèves avec le duc de Nemours

 

Telle est bien l’histoire d’amour de la princesse de Clèves ! Sa rencontre coup de foudre avec le duc de Nemours “…l’homme le mieux fait et le plus beau du monde…” scelle son destin paradoxal de femme vertueuse, mais passionnément amoureuse. En proie aux scrupules d’une infidélité à son époux, si droit, qu’elle respecte profondément, elle lutte sans cesse pour ne pas se laisser happer par la dangereuse spirale du plaisir amoureux. Un exercice d’autant plus difficile pour elle qui n’entend rien aux artifices, et pratique très médiocrement l’art de la dissimulation. Un art pourtant dont on excelle à la cour; lieu d’intrigues et de galanteries, où les princes et princesses, reines et dauphines, ducs et duchesses, mélangent insidieusement affaires et amour.

 

Madame de La Fayette, la Pricesse de Clèves
Madame de La Fayette

 

Dans ce roman, Madame de La Fayette décrit sous sa plume les grands thèmes de l’amour, toujours d’actualité de nos jours : passion envahissante, fidélité, infidélité, trahison, impermanence du sentiment amoureux, doute, incertitudes, durée de l’amour, peur d’aimer, peur de souffrir, d’être délaissé(e), abandonné(e)… un bal d’émotions et de sentiments, avec pour invitée de marque, la dévoreuse, la ravageuse jalousie !

Une histoire d’amour décidément très moderne, devenue un grand classique de la littérature française, écrite par une femme du XVIIème siècle, que Claire Bouilhac et Catel Muller adaptent merveilleusement pour la bande dessinée. Un habile découpage de l’histoire permet de suivre les moments clés de l’intrigue. Le dessin des décors et des costumes nous plonge au cœur du XVIème siècle.

 

Les coulisses de l’album

Sur la réalisation de leur travail, Claire Bouilhac, lors d’une interview pour l’émission “Trait pour trait”, explique “On a essayé de faire un très gros travail sur le texte, la langue et les dialogues, pour le rendre plus adapté à une bande dessinée, parce que tout n’est pas dialogué dans un texte, bien évidemment, mais en conservant un peu la musique de la langue… en toute humilité.”

De son côté, Catel Muller affirme son envie de parler de ces femmes qui ont contribué à la progression et à l’émancipation de toutes les autres. Elle a dessiné notamment les histoires d’artistes émancipées et de féministes : Kiki de Montparnasse, Olympe de Gouges, Joséphine Baker et Benoîte Groult.

Claire Bouilhac et Catel Muller ont déjà collaboré ensemble en qualité de scénaristes et de dessinatrices pour les albums de “Rose Valland” et “Adieu Kharkov”. Pour la princesse de Clèves, elles ont pris le parti d’établir un parallèle entre la vie de l’héroïne et de l’autrice, faisant un clin d’œil à la relation très proche qu’entretenait Madame de La Fayette avec François de La Rochefoucauld, célèbre pour ses Mémoires et ses Maximes.

 

Madame de la Fayette et Madame de Sévigné, la princesse de Clèves
Madame de La Fayette avec Madame de Sévigné

 

Merci Claire Bouilhac et Catel Muller de célébrer, à travers cet album, ces femmes brillantes et courageuses, qui ont écrit, et oser défendre et revendiquer, parfois jusqu’au sacrifice, les bases légitimes de la justice et de l’égalité des femmes avec les hommes. Une lutte que nous devons poursuivre aujourd’hui pour vivre, enfin, avec les hommes, cet amour tendre et harmonieux, dont rêvaient déjà les Précieuses… Ridicules ???

 

*Madeleine de Scudéry : Clélie, histoire romaine. Roman publié en 10 volumes de 1654 à 1660

*Blaise Pascal : Discours sur les passions de l’amour, 1652-1653

*Blaise Pascal : Figure intellectuelle majeure du XVIIème siècle. Philosophe, mathématicien, physicien, théologien

 

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