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Le diable au corps, Raymond Radiguet

Le diable au corps, un roman inscrit au tableau des grands classiques de la littérature amoureuse. Comment l’amour emporte dans sa vague deux amants pendant la première guerre mondiale ? Quels flux et reflux inondent les sentiments amoureux ? Comment peut-on vivre l’infidélité en toute innocence ? Visite guidée au cœur d’une histoire d’amour…

Le diable au corps*, un titre qui résonne encore dans les esprits. Il faut dire que le livre fait scandale à sa sortie en 1923 lorsque le public découvre l’histoire adultère, en partie autobiographique, décrite par ce jeune romancier. Un écrivain précoce, promis à un bel avenir littéraire, s’il n’était pas mort tout aussi précocement, emporté par la fièvre typhoïde, lors de sa vingtième année.

Le succès du diable au corps, de Raymond Radiguet, devenu une icône de la littérature française du début de XXème siècle, se transporte jusqu’au cinéma. Le réalisateur Claude Autant-Lara adapte l’œuvre en 1947, avec Gérard Philippe et Micheline Presle dans le rôle des deux amants. Comme le roman, le film est reçu dans un tollé de protestations, dénonçant un encouragement à l’adultère et à l’antimilitarisme.

A contre courant

L’histoire se passe dans la banlieue parisienne, près de la Marne, pendant la guerre 1914-1918, celle où les hommes, certains de vaincre rapidement et facilement l’ennemi, partent la fleur au bout du fusil. Les femmes demeurent seules, attendent patiemment le retour de leur mari soldat, et espèrent la fin de la guerre. Ce n’est pas le cas de Marthe, mariée depuis peu à Jacques, et parti au front, comme les autres. Marthe, cette jeune épouse de 19 ans, voudrait que la guerre ne s’arrête jamais. Son jeune amant de 16 ans, également. Car, pour eux, la fin de la guerre ce serait, peut-être, la fin de leur amour.

La vague de l’amour

Comment Marthe a-t-elle pu tomber amoureuse de ce jeune garçon, 3 ans plus jeune qu’elle, encore au collège, alors qu’elle était déjà promise à son fiancé ? Dans le diable au corps, l’amour est une vague puissante qui emporte tout sur son passage. Quand les deux jeunes gens se rencontrent et se reconnaissent, plus rien n’existe autour. Les énergies s’attirent comme deux aimants, avec force, et sans raisonnement. Elles oublient les convenances, les lois, les impossibles.

Marthe a un esprit artistique, elle peint des aquarelles. Elle est naturelle et plutôt téméraire. Son fiancé lui interdit de lire les Fleurs du mal de Baudelaire, et de fréquenter les académies de dessin. Elle s’aperçoit qu’elle partage les mêmes goûts littéraires avec ce jeune garçon, qu’elle rencontre un jour de balade en campagne, organisée par leurs deux familles.

Elle aime qu’il lui propose de l’accompagner pour dessiner, mais aussi de lui prêter les livres et les journaux que Jacques, son fiancé, lui interdit. C’est comme un déverrouillage, une ouverture vers sa liberté.

Les premières connivences, les premières complicités sont en train de naître. Déjà, elle lui plaît lorsqu’il l’observe discrètement, sous les ailes de son chapeau, marchant au bord de l’eau.

Déjà, elle semble transporter par autre chose que les beautés de cette campagne, auxquelles elle ne prête plus guère attention, lui préférant leur conversation.

Ce qui change quand on est amoureux

Au début, il gomme ses préférences. Il fait tout pour lui plaire “Le matin encore, je me serais cru déshonoré en buvant de la grenadine. Mon père n’y comprenait rien. Il me laissait toujours servir des apéritifs. Je tremblai qu’il me plaisantât sur ma sagesse. Il le fit, mais à mots couverts, de façon que Marthe ne devinât pas que je buvais de la grenadine pour faire comme elle.”

La pensée obsédante de l’être aimé

Il se désintéresse des autres, son meilleur ami a subitement moins d’importance. La pensée de Marthe l’obsède.  il ne pense plus qu’à la revoir. Il sèche les cours pour rester avec elle. Il se demande si elle est amoureuse de lui, traque les indices dans ses réponses, ses comportements pour surprendre son amour.


L’écart de l’âge, le collégien, le mari inquiet et trompé, le soldat à la guerre, la femme adultère, la famille, la société, plus rien ne compte, que leur envie de s’aimer.

Quand Marthe devient l’épouse de Jacques, il tente de l’oublier, d’étouffer ses sentiments pour elle, et de les remplacer par de l’amitié. Mais l’amour est plus fort que la résignation.

Elle le reçoit chez elle lorsque son mari part à la guerre. Tous deux passent de longs moments auprès de la cheminée, dans la plus parfaite insouciance, comme dans un autre temps “Je ne souhaitais rien d’autre que ces fiançailles éternelles, nos corps étendus près de la cheminée, se touchant l’un l’autre, et moi, n’osant bouger, de peur qu’un seul de mes gestes suffît à chasser le bonheur.”

Les sentiments se mélangent. L’amour platonique s’évapore doucement. Bientôt, plus fort que tout, l’amour concret prend sa place. Leurs corps se rapprochent. En faisant semblant de dormir près du feu, les cheveux dénoués, Marthe enlace sa nuque. Ils se fondent dans une douce complicité “Je profitais de son faux sommeil pour respirer ses cheveux, son cou, ses joues brûlantes, et en les effleurant à peine pour qu’elle ne se réveillât point ;”

Puis un jour en s’approchant trop près de son visage, il finit par toucher ses lèvres. Dans le trouble de leurs aveux, ils chavirent. Corps et âmes, ils plongent dans l’amour, ne trouvant plus rien à quoi s’agripper. L’écart de l’âge, le collégien, le mari inquiet et trompé, le soldat à la guerre, la femme adultère, la famille, la société, plus rien ne compte, que leur envie de s’aimer.

La possession

Ils sont dans l’euphorie de se posséder enfin, de pouvoir se toucher, s’embrasser, se serrer l’un contre l’autre. Lui, voudrait même la mordre pour montrer qu’elle lui appartient, et que tout le monde le sache. Le diable au corps, c’est la passion qui dévore, qui laisse sa marque et sa trace. Il pense dans son désir brûlant “J’aurais voulu pouvoir y marquer mes initiales. Ma sauvagerie d’enfant retrouvait le vieux sens des tatouages.”

Les peurs

Parfois pourtant, les sentiments s’abîment dans leurs peurs. Il ressent les pincements de la jalousie en découvrant  le visage de Marthe après l’amour, « transfiguré » par le plaisir . Il en veut à Jacques d’avoir été le premier à posséder son corps.

Il pense à la fin de la guerre qui les séparera. Elle lui dit qu’elle ne veut pas le quitter et lui expose ses craintes, pourquoi elle se sent trop vielle pour lui.

“Dans quinze ans, la vie ne fera encore que commencer pour moi, des femmes m’aimeront, qui auront l’âge qu’elle a. « Je ne pourrais que souffrir, ajoute-t-elle. Si tu me quittes, j’en mourrai. Si tu restes, ce sera par faiblesse, et je souffrirai de te voir sacrifier ton bonheur.”

Il tente de la convaincre du contraire, mais il n’y croit pas au fond de lui-même, et s’avoue dans une froide lucidité “Hélas ! j’étais trop sensible à la jeunesse pour ne pas envisager que je me détacherais de Marthe, le jour où sa jeunesse se fanerait, et que s’épanouirait la mienne.”

Flux et reflux du sentiment amoureux

Car, dans le diable au corps de Raymond Radiguet, il y a cette immaturité de l’amour, ballotté par les contingences. “Notre union était donc à la merci de la paix, du retour définitif des troupes. Qu’il chasse sa femme, elle me resterait. Qu’il la garde, je me sentais incapable de la lui reprendre de force.”

Un amour qui subit plus qu’il ne décide. Un amour jeune, qui découvre l’autre à travers son propre égoïsme. Un amour qui avance et qui recule entre l’envie de se rapprocher et l’indifférence de s’éloigner. Lucide, il perçoit l’instabilité de ses sentiments “Bien que mon amour me parût avoir atteint sa forme définitive, il était à l’état d’ébauche. Il faiblissait au moindre obstacle.”

Puis, quand le sentiment amoureux remonte à la surface, il tente de nager mais boit souvent “la tasse”.

Ces amours verts, rongés d’incertitudes et d’inquiétudes s’échangent dans la violence des malentendus et des non-dits “Alors, tu nous trompes tous les deux, dis-moi que tu l’aimes, sois contente : dans huit jours tu pourras me tromper avec lui.” Il lui porte des attaques sans le vouloir, se laisse submerger par la passion.

L’existence de Jacques commence à lui peser. Il doute souvent de son amour, se demande s’il n’est pas simplement un passe-temps pour elle, si elle ne le quittera pas du jour au lendemain.

Pouvoir d’un côté, perte d’autonomie de l’autre

Le diable au corps c’est aussi la prise de pouvoir sur l’autre. Marthe est sous l’influence, la dépendance du regard et de la volonté de son jeune amant. Elle lui demande son autorisation pour tout : il devient son « directeur de conscience ». Il l’oriente et la façonne à son image “J’en usai comme ces despotes qui se grisent d’un pouvoir nouveau.”

Les neurones miroir

A force de partager de longs moments ensemble, de s’apprécier, de s’observer, de s’admirer, ils finissent par se ressembler.
Ils s’épient et sont sensibles à leur moindre changement. Leurs gestes, leur démarche, les intonations de leur voix se reflètent et se retrouvent l’un dans l’autre.

L’infidélité en toute légèreté

Dans ce fol amour, ils oublient tous les scrupules de la trahison. La compassion ne les concerne pas. Marthe ne se rend même pas compte de l’effroyable indifférence qu’elle témoigne à son mari et qui en souffre profondément. Elle se consacre entièrement à son jeune amant, qui au fil de sa logique personnelle, se déculpabilise et se pardonne à lui-même “Je ne hais pas Jacques. Je hais la certitude de tout devoir à cet homme que nous trompons. Mais j’aime trop Marthe pour trouver notre bonheur criminel.”


L’ordre des choses reprend tranquillement son cours, après la déferlante de l’amour.

Ils sont dans l’errance sauvage de l’amour, se voit tous les jours. Hormis les parents de Marthe, tout le monde finit par être au courant de cet adultère choquant, scandalisant. On les regarde d’un mauvais œil, on les évite, on ne les salue plus.

Et puis un jour, Marthe est enceinte. Pour elle, cet enfant est un signe d’acceptation de Dieu, ne voyant pas de mal dans leur histoire d’amour. Pour lui, c’est une nouvelle consternante qui le renvoie prématurément au sens des responsabilités. Pourtant il aime déjà cet enfant qu’il appelle son fils. Pour les convenances, Marthe laisse croire à son mari qu’il est le père de l’enfant.

Mais un jour, Marthe tombe malade. Elle doit rester alitée jusqu’à son accouchement. Le jeune amant pense qu’il ne pourra jamais tenir aussi longtemps sans la voir. L’enfant naît prématurément, un jour de janvier. Il est fou de joie. Une joie qui se glace, se pétrifie, lorsqu’il apprend quelque temps plus tard, par ses frères qui reviennent de l’école, que Marthe est morte.

L’enfant restera à Jacques, le mari trompé. L’ordre des choses reprend tranquillement son cours, après la déferlante de l’amour.

*Le diable au corps, Raymond Radiguet, Né à Saint-Maur le 18/06/1903 et mort à Paris le 12/12/1923.

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